Pierre Paulin (1927-2009) est l’un des designers majeurs du 20° siècle. Ses créations, entrées dans les collections des plus grands musées du monde surtout à partir du milieu des années 2000, ponctuent chaque édition des Puces du Design depuis leur création en 1999 où elles rencontrent un public, pour l’essentiel français qui, pendant longtemps, n’a pas su apprécier à sa juste valeur ce travail moderne et novateur et le talent de leur concepteur.

Exposition Hommage à Pierre Paulin – octobre 2015

Exposition Hommage à Pierre Paulin par La Galerie du 20°

Alors qu’une rétrospective retracera le parcours de Pierre Paulin au Centre Pompidou au printemps 2016, Les Puces du Design s’associent au galeriste Jean-Yves Allemand, amoureux des lignes voluptueuses des assises de Pierre Paulin depuis de nombreuses années, pour présenter, dans un parcours pédagogique et complet un hommage à ce designer phare de la seconde moitié du 20° siècle.

On percevra dans cette exposition, ses origines et influences, les principes récurrents et novateurs de son œuvre ainsi que leur héritage dans le design contemporain ; pour ensuite voir en quoi Pierre Paulin a véritablement opéré une révolution dans le domaine de la création de sièges ; et, enfin, s’attacher aux paradoxes et aux questions de reconnaissance liées à ce designer au talent aujourd’hui incontesté.

1. ORIGINES ET INFLUENCES

Avant de révolutionner le design des assises, Pierre Paulin va d’abord assimiler des influences qui vont donner une identité forte et des orientations très marquées à son travail.

En héritage de sa mère Suisse Allemande, il gardera une certaine rigueur, voire une austérité qui, contrairement aux apparences premières, n’est pas contradictoire avec les formes qu’il concevra à partir des années ‘60 : ces formes sont certes douces, arrondies, enveloppantes... ; elles ne font toutefois aucune concession au décoratif et ne s’agrémentent de rien de superflu.

S’il se destine d’abord au métier de sculpteur, un accident - un nerf sectionné - l’empêchera de poursuivre dans cette voie. Toutefois, la présence exceptionnelle dans l’espace notamment de ses assises traduira la capacité qu’il a à inventer en trois dimensions et à créer de nouvelles formes sans se rapporter aux formes du passé.

Exposition Hommage à Pierre Paulin sur Les Puces du Design par La Galerie du 20e - Octobre 2015

Parmi ses sources d’inspirations avérées, on notera aussi le design scandinave ; dont il apprécie, et partage, la sobriété des lignes, la justesse de conception et la modernité qui transparaissent avec une grande élégance. Il découvrira le design scandinave par l’intermédiaire de Marcel Gascoin où il fera une partie de sa formation, mais aussi via un voyage qu’il fera dans les pays du Nord au début des années ‘50 et aussi par la revue Mobilia à laquelle il s’abonne dès la fin des années ‘50.

Concrètement, on peut percevoir très tôt sa connaissance des luminaires nordiques ayant recours à un certain type de pliage, le Klimt, dont on retrouve l’esprit notamment dans ses faux plafonds et ses divers habillages de parois horizontales ou verticales.

Enfin, Pierre Paulin regarde avec beaucoup d’intérêt le design américain d’après-guerre et verra en Charles et Ray Eames les seuls designers capables de créer avec élégance et simplicité, «sans coup d’archet»; à savoir sans effets décoratifs ou démonstratifs inutiles ou ostentatoires.

2. PRINCIPES RÉCURRENTS : novation et héritage

On peut déceler dans les créations de Pierre Paulin un certain nombre de principes - ou de préoccupations récurrentes à un moment donné - qu’il déclinera aussi bien pour des aménagements d’espaces que pour la conception de mobilier et qui marquent son caractère novateur.

Parmi ces principes capitaux, on trouve sa propension à vouloir assouplir ou effacer la ligne droite - des murs, des structures...- en recourant au textile. C’est ce qu’il fera sur les murs et plafonds de ses aménagements des appartements privés du Président Georges Pompidou (1969-1973) ; mais c’est le même principe conceptuel qui aboutira à ses sièges dans lesquels disparaît complètement la distinction entre le piètement et l’assise et notamment le premier d’entre eux pour lequel il déposera un brevet dès 1957.

Portrait de Pierre Paulin © Artifort

De même, entre 1961 et 1967, il fera plusieurs aménagements où il utilisera comme lustre de simples fils auxquels sont suspendues des douilles redessinnées. Ce système, qui ne sera jamais commercialisé à l’époque, n’est pas sans rappeler la tendance actuelle aux suspensions multiples et toutes simples (Suspensions E27 chez Muuto par exemple).

Toujours relevant d’une recherche formelle dont on trouvera un échos dans un design plus récent, on peut aussi évoquer son travail de facettage (notamment dans le fauteuil qu’il créera pour François Mitterrand entre 1985 et 1989) qui n’est pas sans ressemblance avec la série de chaises One de Konstantin Grcic créée pour Magis en 2003.

Un autre héritage possible, ou en tout cas une belle prémonition à mettre au crédit de Pierre Paulin, résulte de son travail au sein de l’agence ADSA dans les années ‘70 pour la société Allibert. Afin d’imposer le nouveau matériau qu’est le plastique pour le mobilier de jardin, Pierre Paulin choisira de reprendre , avec ce matériau moderne, une forme traditionnelle de chaise; ce qui n’est pas sans rappeler les séries de chaises créées par Philippe Starck pour Kartell au début des années 2000 notamment...

3. LA RÉVOLUTION PAR LE SIÈGE Si certaines assises de Pierre Paulin sont vraiment devenues emblématiques de la modernité et sont entrées dans les plus grands musées du monde (Moma de New York, Victoria & Albert Museum de Londres, Musée des Arts Décoratifs à Paris...), c’est qu’elles ont véritablement constitué une révolution dans la conception, autant que dans la forme et la fabrication, des assises : il y a eu un avant et un après Paulin !

Sous leur apparence très sensuelle et leurs formes finalement très simples - épurées...- ses assises ont nécessité un énorme travail de recherche et de développement tout en témoignant de la très grande liberté de création de leur concepteur.

Dès le milieu des années ‘50, Pierre Paulin s’intéresse au «stretch» que l’on trouve d’abord aux Etats-Unis (Dupont de nemours), puis très vite également en Europe (société Serolatex à Roubaix) pour recouvrir ses assises. Il ira à de nombreux défilés de maillots de bain pour trouver «le» tissu capable d’épouser les formes de ses assises et lui permettra de concrétiser son idée révolutionnaire de créer un siège dont toute la structure disparaît sous le textile qui le recouvre.
C’est le patron d’Artifort, firme hollandaise avec laquelle il collabore dès 1959, Henry Wagemans qui trouvera le tissu miracle en Norvège au début des années ‘60. Il en découlera une collection de sièges au noms évocateurs (Langue, Ruban, Champignon...) et aux formes totalement inédites.

Fauteuil 577 "Tongue" - Design Pierre Paulin, 1967 © La Galerie du 20e

C’est aussi, de fait, le métier de tapissier qui se trouve métamorphosé : adieu le travail artisanal avec clous et marteau ! Il faudra à présent travailler sur des patrons très complexes et mettre au point des chaînes de houssage très élaborées.
Dans cette recherche autour du tissu, Pierre Paulin saluera le travail réalisé par les techniciens d’Artifort. Ses échanges avec le designer textile américain très en vogue à l’époque, Jack Lenor Larsen, seront également capitaux. Il en résultera une suprématie de la maille, et donc une préférence au tricottage - au détriment du tissage et, du coup, de nouvelles méthodes de fabrication avec un travail par scellage à chaud plutôt que de la couture...
Le fauteuil Ribbon recouvert du tissu psychédélique «Sundown» du designer américain, sera à ce titre, un emblème flamboyant !

Fauteuil RIBBON - Design PIERRE PAULIN © Artifort

4. RECONNAISSANCE ET PARADOXE

Notamment de par sa collaboration avec Artifort, firme implantée à Maastricht aux Pays-Bas, Pierre Paulin fût l’un des designers français les plus connus à l’étranger dans les années ‘60.

Ses créations se retrouvent dans toutes les pages des magazines de l’époque (un Mushroom fait la couverture d’un magazine de programme TV hollandais en 1965), son Ribbon reçoit l’American Interior Design Award en 1969... Paradoxalement, le nom de PIerre Paulin ne commence à être connu des français que lorsque celui-ci est choisi par le Président Georges Pompidou pour aménager les appartements privés de l’Elysée et faire la démonstration de la Modernité et des savoir-faire de la France...

Autre paradoxe, c’est justement à ce moment là, que Pierre Paulin s’efface derrière une entité commune, l’agence ADSA qu’il fonde en 1975 avec Maïa Wodzislawska et Marc Lebeilly, et se détournera un temps de la conception de mobilier pour faire, aux côtés de Roger Tallon notamment, une recherche davantage en lien avec le marketing et l’industrie.

Ce paradoxe entre la recherche d’une certaine reconnaissance pour son travail et son effacement est une des spécificités de Pierre Paulin. Il dira avoir créé le Ribbon Chair parce-qu’il trouvait être trop peu présent dans la presse française de l’époque. Il l’a conçu comme une manière de clamer «Oui j’existe» ; et effectivement, quelle démonstration !

Entre reconnaissance et discrétion

Pierre Paulin fuira les mondanités et travaillera sans relâche ni compromis dans son repère cévenol loin du tumulte parisien. De cette liberté et de cet engagement naîtra une œuvre majeure qui comprend de nombreuses pièces révolutionnaires et novatrices. Leur présentation sur les 33èmes Puces du Design par le galeriste Jean-Yves Allemand permettra de rendre un hommage vivant au grand designer qu’est Pierre Paulin et de lui offrir une rencontre avec le public qui, bien que de nombreuses expositions institutionnelles lui ont été consacrées depuis le milieu des années 2000 , n’a pas eu si souvent l’occasion de l’approcher dans un lieu ouvert et désacralisé comme le sont Les Puces du Design.